Les pratiques managériales en question

« Quel management idéal pour mon entreprise culturelle ? » Cette question vaste à laquelle tous dirigeants rêveraient d’obtenir une réponse claire a été au cœur du débat lors de la table ronde portant sur la thématique « Les pratiques managériales en question ». Trois intervenants autour de la table : Gabrielle Rossi, co-directrice de l’ADEM qui gère le Florida à Agen, Arnaud Barillet, chargé de mission à l’ARACT Nouvelle-Aquitaine et Marc Bouchet, consultant et coach en organisation et ressources humaines.

Cette table ronde était animée par Sylvain Cousin, directeur de Radio Pulsar à Poitiers.

Avant de faire un état des lieux de pratiques managériales dans le secteur culturel et de souligner le propos par l’exemple de la démarche engagée par Gabrielle Rossi au sein du Florida, Arnaud Barillet a souhaité
contextualiser la question de management dans les organisations. « Il faut savoir qu’aujourd’hui, les études européennes placent la France au dernier rang des 27 pays européens en ce qui concerne les organisations de
travail qui associent les salariés. » Une situation peu glorieuse qui est le fruit de l’histoire. « En effet, ce contexte est un héritage du passé datant de la révolution industrielle qui a posé les prémices de la division du
travail telle que nous la connaissons aujourd’hui avec un directeur, des chefs de services et des opérateurs. »

INDIVIDUALISATION DES RAPPORTS SOCIAUX

Néanmoins, au fil du temps, des évolutions en terme managérial se sont produites. « Les premières ont eu lieu après mai 68. Le MEDEF de l’époque, le CNPF, inquiet du mouvement était aussi confronté à un autre problème au sein des entreprises : des salariés de plus en plus qualifiés et des postes de moins en moins intéressants. Pour y répondre trois solutions avaient été envisagées dans un rapport : augmenter les salaires pour acheter la paix sociale ; enrichir le travail et associer les salariés aux organisations de travail ; reconnaître les salariés en individualisant les rapports sociaux. » En pleine période des 30 glorieuses, c’est la première option qui a été retenue. Ce qui a très bien marché jusqu’au choc pétrolier de 1973. « Le patronat s’est alors rabattu sur la troisième option avec la mise en place des fiches de poste individuelles, des objectifs individuels, du temps de travail individualisé… Car pour lui il n’était pas envisageable d’associer les travailleurs dans l’organisation. Ces outils de management sont toujours en vigueur dans nos entreprises 50 ans après. »
Une structuration qui s’est imposée aussi dans les organisations culturelles. Et ce pour plusieurs raisons, comme l’a exprimé Marc Bouchet : « Il y a 20 ans ce processus d’individualisation n’existait pas dans les entreprises culturelles qui rappelons-le sont constituées à près de 80% d’associations. Ce qui pouvait offrir une grande liberté, une vraie autonomie, mais aussi en jouant sur l’affect – métiers de passion au service des autres – créer des situations difficiles et une nouvelle forme d’asservissement. Toute la difficulté que connaissent les structures culturelles, est qu’au départ il s’agit d’un projet de passionnés, mais petit à petit, en grossissant avec le recrutement de salariés, s’impose un changement de paradigme. »

TROUVER LE JUSTE EQUILIBRE

Pour illustrer le propos, Gabrielle Rossi a fait part de son expérience tout en exprimant pourquoi elle a engagé il y a deux ans une démarche RSO (Responsabilité sociétale des organisations) au sein de sa structure qui compte 15 salariés. « Aujourd’hui je me situe entre les deux grandes lignes de management exprimées par Arnaud et Marc. Je crois qu’il n’y a pas de management et de gestion RH idéals. Ils doivent être pensés en fonction de sa structure et de son territoire. C’est aussi une posture très personnelle du dirigeant. Me concernant, je considère que les salariés sont avant tout des personnes avec leur propre identité, compétences et sensibilité. En fonction de cela, il faut arriver à travailler tous ensemble et faire que le projet que l’on porte tienne la route. J’ai souhaité engager une démarche RSO pour savoir quelles valeurs on portait et vers quoi on voulait aller. Il a fallu déconstruire le projet pour voir ce qu’il y avait dans ces entrailles. » Aujourd’hui, Le Florida, qui était sur une organisation très pyramidale tend vers plus de transversalité en travaillant en mode projet. Pour ce faire Gabrielle Rossi a mis en œuvre des outils et une méthode Agile. « Toute la difficulté est de trouver un juste équilibre, c’est complexe car on touche à l’humain mais aussi parce que nous sommes de nouveau malmenés avec les baisses importantes de financements. Dans ce contexte, j’ai fait le pari de l’humain en ne réduisant pas la masse salariale, qui est créatrice de richesse, et en accentuant les collaborations. »

DE L’IMPORTANCE DU RÔLE MANAGÉRIAL

Face à cette nécessité de trouver un juste équilibre, Arnaud Barillet a souligné le danger pour les entreprises qui se sont engagées dans un mode libéré ou holocratique sans travail préalable. « Ce mode d’organisation
peut être stimulant mais aussi extrêmement stressant du fait de cette ambivalence entre besoin d’autonomie et d’être rassuré. Est-ce qu’il faut repenser les organisations ? Oui. Est-ce qu’il faut se dispenser des managers ?
Non, car il n’y a qu’eux qui peuvent capter les sensibilités des salariés et les accompagner sur des processus d’autonomie. » Un sentiment partagé par Marc Bouchet : « Le rôle managérial est essentiel en entreprise, forme libérée ou pas, l’essentiel est qu’il y ait du débat, de la concertation et, au final, une décision claire qui soit prise. » Dans cette démarche, la prise de risque est essentielle : « Parfois, il faut s’affranchir des cailloux que l’on a dans la chaussure en faisant exploser les organisations, il faut un certain courage mais surtout que l’approche soit portée par une direction volontariste avec une vision claire. »

Un point important aussi souligné par les intervenants : le statut de l’entreprise qui va déterminer le mode de management, « nombreuses associations ou Scop fonctionnent sur un mode pyramidal. », précise Arnaud Barillet. « En effet, le statut ne fait pas la vertu, poursuit Gabrielle Rossi. Quel qu’il soit, il est possible de tendre vers l’épanouissement des salariés mais je me rends compte que ce n’est pas forcément naturel. C’est au dirigeant de l’accompagner. Ce que l’on fait auprès de nos publics, il faut aussi le faire pour nos équipes. »

Pour aller plus loin

Philippe Quintard

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