Face à la concurrence forte d’internet et des zones commerciales de périphérie, les commerces culturels de proximité doivent se réinventer pour attirer les clients. Si certains commerçants, comme les loueurs de films, ont été distancés par la dématérialisation, d’autres tiennent le cap, en zone urbaine, comme en zone rurale. Et contribuent à l’attractivité de leur territoire.
Cette table ronde était animée par Benjamin Suhard, délégué territorial du Réseau des indépendants de la musique (RIM) sur les territoires des Deux-Sèvres, de la Charente, et de la Charente-Maritime.
Le constat est sans appel. Les Français s’installent massivement en périphérie des villes. Par conséquent, pour les attirer dans les commerces dits de proximité, installés en centre-ville, il est nécessaire de doper l’attractivité, en diversifiant l’offre au-delà du simple volet commercial, en communiquant et en proposant une offre culturelle dense. C’est en tout cas le point de vue de Thibault Le Carpentier. « Les espaces de transmission culturelle ne doivent pas se trouver chez Leclerc ou Cultura, mais plutôt dans les commerces de proximité en centre-ville, souligne le responsable des relations institutionnelles du Club des managers de centre-ville.
L’animation doit être autant diversifiée que l’offre commerciale, sinon plus. » A ses côtés, Mickaël Vallet, Maire de Marennes, en Charente-Maritime, défend la thèse que l’urbanisme est la porte d’entrée principale du développement de l’attractivité. « Voilà plusieurs années que l’aménagement commercial du centre-ville est au cœur de nos préoccupations, précise-t-il. Le but est de casser la routine quotidienne. Aujourd’hui, on peut pratiquement tout commander sur Internet et ne sortir de chez soi que pour aller travailler, récupérer ses courses au « drive » et ses colis dans les points de collecte. Pour attirer leurs habitants en centre-ville, les municipalités
doivent limiter l’installation démesurée des grandes surfaces en périphérie. »
LE PARI DE LA ZONE RURALE
Si les centres-villes des grandes agglomérations souffrent de la concurrence des hypermarchés, les communes rurales doivent pour leur part composer avec une population peu nombreuse. Libraire professionnelle, Pauline Fouillet a choisi de s’installer à Ruffec, en Charente, en ayant bien conscience du faible dynamisme commercial de la commune. « Le phénomène de promenade commerciale que l’on peut connaître dans les grandes villes n’existe pas ici, souligne la gérante de Livres et Vous. Il faut par conséquent donner envie au client de venir dans notre librairie. Je crée régulièrement des événements en lien avec le livre, avec d’autres acteurs du territoire. Mes produits se retrouvent ainsi sur le marché bio, à la Maison du comédien à Alloue et dans d’autres endroits différents où on ne m’attend pas… » Grâce à ces sorties hors les murs et
aux animations qu’elle organise dans sa boutique, Pauline Fouillet s’est constituée une clientèle très fidèle. « L’union fait la force, mais pas forcément l’union corporatiste, reprend-elle. Pour créer du lien, je travaille avec d’autres corps de métiers et même avec mes concurrents. Concernant ma communication, j’ai mis en place un système « click and collect » pour que mes clients puissent commander les livres sur Internet avant de venir les chercher en boutique. »
Plus au Nord, dans la Vienne, Stéphane Guichard s’est lui aussi laissé tenter par le rural après plusieurs années à la tête d’un bar à Poitiers. « Lorsque j’ai émis l’idée d’ouvrir un second bar culturel à Chauvigny, on m’a dit que cela ne fonctionnerait jamais, explique le gérant du Palais de la Bière à Poitiers et de La Moustache à Chauvigny, président de Culture Bar-Bars. Aujourd’hui, nous rencontrons un franc succès auprès des habitants de la commune, mais surtout auprès de ceux des villages alentours. Notre bar est un lieu de rencontres avant tout, où les clients aiment se retrouver pour prendre un verre. La culture est un plus que nous leur apportons et qu’ils reçoivent avec grand plaisir. » Fédérer, dynamiser et développer l’attractivité grâce à la culture est également le crédo de Mickaël Vallet, qui a récemment sollicité des subventions pour réhabiliter un local en centre-ville de Marennes, avant de le louer à un libraire professionnel. « La place du livre et de la fiction est fondamentale dans un centre-ville, insiste-t-il. Nous disposons désormais d’une librairie, d’un cinéma et d’une médiathèque, qui organisent régulièrement des animations pour les habitants. Favoriser le vivre-ensemble, ce n’est pas juste avoir un skate-parc ou un marché. C’est un tout. »
LE LIVRE, UN SUPPORT PRIVILÉGIÉ ?
Ces quelques exemples de réussite ne doivent toutefois pas occulter les difficultés financières que rencontrent bon nombre de commerçants culturels indépendants installés en centre-ville. A Poitiers, par exemple, les cinq loueurs de films en activité au début de la décennie ont depuis mis la clé sous la porte. Certains disquaires également. Les libraires, quant à eux, parviennent à se maintenir à flot. « Le livre n’est pas un support culturel comme les autres, reconnaît Emmanuelle Lavoix, chargée de l’économie du Livre à l’ALCA. Il ne souffre pas vraiment de la dématérialisation car les Français apprécient l’objet. Un des atouts du marché du livre est que le prix est le même partout. Internet ne prend par conséquent pas l’avantage sur les commerces de proximité. Pour autant, on ne s’improvise pas libraire. Il faut en tout premier lieu être commerçant, spécialiste et porteur d’un projet viable. Tenir un commerce culturel de proximité n’est pas un long fleuve tranquille. » Les commerçants l’ont bien compris. Cultiver son originalité, proposer à la vente des produits rares, organiser des événements, fidéliser leur clientèle, travailler main dans la main avec les autres commerçants et concurrents… Autant de pistes que les gérants de commerces culturels de proximité explorent aujourd’hui pour devenir, ou demeurer, des moteurs de l’attractivité.
Pour aller plus loin
- Le RIM
- Club des managers de centre-ville
- Commune de Marennes
- Culture Bar-Bars
- ALCA en Nouvelle-Aquitaine
Marc-Antoine Lainé