Une grande partie des acteurs culturels du territoire s’inscrivent aujourd’hui dans le cadre de l’économie sociale et solidaire (ESS). Mais en quoi ces derniers se sentent appartenir à ce secteur ? Quelles sont les formes les mieux appropriées en fonction de leur projet ? Et qu’est-ce qu’elles en attendent ? Autant de questions qui ont été abordées lors de la table ronde sur la culture & l’ESS animée par Rachel Cordier, présidente de la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire (CRESS) Nouvelle-Aquitaine.
Pour débattre de cette thématique autour du sentiment d’appartenance des acteurs de la culture à l’ESS et des attentes et enjeux sur ce modèle économique, trois intervenants ont apporté leur point de vue et répondu aux questions de l’assistance : Christelle Neau, animatrice territoriale à la CRESS Nouvelle-Aquitaine, Pascal Duforestel, conseiller régional Nouvelle-Aquitaine, délégué à l’ESS et Rice Gallet, directeur du Centre régional des musiques traditionnelles en Limousin (CRMT), président de la Fédération des associations de musiques et de danses traditionnelles (FAMDT) et de membre de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (UFISC).
LES QUATRE GRANDS MOUVEMENTS DE L’ESS
En introduction à cette table ronde, Rachel Cordier a souhaité faire un retour en arrière sur la genèse de l’ESS et sur sa structuration dans le temps. « L’ESS existe depuis tout temps à partir du moment où il y a une organisation solidaire. Cependant, quatre grands mouvements de l’histoire l’ont structuré. Le premier date de 1273 avec la création des premières coopératives, les coopératives fruitières du Jura, qui ont souhaité mettre en commun le fruit de leur travail. Le second, le début du XX e siècle avec l’apparition du terme ESS. A cette époque il y a un mouvement de pensée sur la question comment faire ensemble pour mieux vivre, avec des questions de coopération de travail. Un autre grand mouvement apparaît dans les années 70, où les problématiques portent plus sur le principe du faire ensemble au service de l’intérêt général. Et enfin, le dernier est la reconnaissance juridique de l’ESS avec la loi Hamon en 2014. »
En complément de ce propos, Christelle Neau a ensuite rappelé les principes auxquels sont rattachées les structures de l’ESS « en phase à mon sens avec celles des activités culturelles : l’utilité sociale et collective ; la gestion responsable et l’ancrage territoriale. »
UNE ÉCONOMIE QUI A DU SENS
Un sentiment que partage Rice Gallet en apportant cependant une précision. « Si l’ESS est une économie qui a du sens, en tant que structure culturelle, nous portons plus des actions qui ont du sens, que celles pouvant avoir une portée économique. Je ne vous cache pas que j’ai un peu de difficulté avec le mot entreprendre accolé à celui de culture. Je pense que nous sommes plus acteurs économiques qu’entrepreneurs pour des raisons de valeurs mais aussi pour la finalité de nos actions qui ne reposent pas dès le départ sur l’intérêt économique. »
Christelle Neau estime, en effet, qu’il peut y avoir débat sur cette question, car si l’ESS est une notion complexe, la dimension économique n’est pas pour ce secteur une porte d’entrée ni une finalité mais un moyen de faire fonctionner un support, de lui donner les moyens d’exister. « Il est important de faire la nuance et d’accepter la posture d’entreprise au-delà de l’entrepreneuriat. » Par rapport à cette question, une personne de la salle, Christine Drugmant directrice de la librairie indépendante La Belle Aventure à Poitiers, souhaite apporter une précision : « On peut très bien être dans un secteur parfaitement marchand comme le mien mais néanmoins avoir un projet culturel à teneur sociale. L’objectif de beaucoup de structures comme la mienne dites de l’économie classique n’est pas la recherche de lucrativité à tout prix mais de la rentabilité. »
UNE RÉPONSE POUR FAIRE FACE AUX CRISES
Au-delà de ce débat sémantique, Pascal Duforestel a souhaité souligner le défi de la pérennité qui attend les structures culturelles aujourd’hui confrontées à une crise importante liée aux baisses conséquentes des financements publics. Pour lui, seul l’ESS peut être une réponse. « Il y a urgence que l’ESS investisse le secteur de la culture et inversement car dans cette période de crise, c’est le seul modèle qui peut apporter des réponses adaptées, via la gouvernance et la mutualisation, aux transitions nécessaires aujourd’hui. » L’histoire parle pour lui : la plupart des coopératives agricoles, les mutuelles de la région sont nées en réponse à des périodes de crise. L’ESS propose pour ce faire une large palette d’outils en fonction des différents cas de figure : le groupement d’employeur, la coopérative d’activité et d’emploi ; la société coopérative et participative (SCOP) ou encore la société coopérative d’intérêt collective (SCIC).
Un éclairage particulier a notamment été porté sur la SCIC qui par ses spécificités liées à la création de collèges – pouvant accueillir à la fois des salariés, des utilisateurs, des fournisseurs ou encore des collectivités qui entrent au capital – créée un écosystème favorable à la stabilité dans le temps et sur les territoires tout en répondant à l’intérêt général. L’exemple du rachat de certains festivals, notamment Garorock par Vivendi est particulièrement parlant. « Malgré le fait que ce festival était constitué en association cela n’a pas été un barrage suffisant à leur rachat. La SCIC peut être un bel outil de réponse à ce type de problématique qui permet la pérennité des structures tout en faisant obstacle à l’uniformisation des programmations culturelles. Il faut savoir que la Région Nouvelle-Aquitaine accompagne la constitution et le développement des structures de l’ESS quelles qu’elles soient », a précisé Pascal Duforestel.
Peut se poser aussi la question comme l’a fait Rice Gallet sur l’aspect vertueux des structures de l’ESS. « Nombreuses associations sont de très mauvais employeurs qui ne respectent pas le temps de travail, les conventions collectives. Est-ce que le modèle juridique des structures de l’ESS est suffisant par rapport à ces problématiques ? » En réponse, Christelle Neau a souhaité préciser les choses : « Les modèles sont imparfaits, il faut toujours les adapter aux situations et ce n’est que si les acteurs s’en emparent, les comprennent que l’on va pourvoir les faire évoluer et co-construire les règles de demain que l’on attend dans le champ culturel. »
Autre problématique soulevée par plusieurs personnes de la salle mais aussi par Rice Gallet : le rôle de la considération par les pouvoirs publics et les représentants politiques des structures de l’ESS qui ont tendance à sous-estimer la plus-value économique qu’elles représentent sur un territoire par rapport aux entreprises classiques.
« Il y a effectivement encore tout un travail d’explication à faire, mais il faut profiter de l’opportunité d’avoir une Région qui soutient fortement l’ESS pour développer des actions allant dans ce sens et dans celle de la création de nouvelles structures », a conclu Christelle Neau.
Pour aller plus loin
Philippe Quintard