Les droits culturels : Qu’est-ce que cela change pour les entrepreneurs culturels ?

Que sont les droits culturels ? Leurs enjeux ? En quoi leur prise en compte change la manière dont les projets culturels et artistiques sont pensés et construits ? Est-ce une amélioration dans leurs pratiques et leurs usages ?
Autant de questions auxquelles les intervenants à cette table ronde animée par Eric Fourreau, directeur des Editions de l’Attribut et de la revue NECTART, ont apporté leur éclairage. Etaient présents autour de la table : Charlotte Audigier, directrice des Eclats Chorégraphiques ; Pascale Bonniel Chalier, chargée d’études Illusion & Macadam, Rice Gallet directeur du Centre régional des musiques traditionnelles en Limousin (CRMTL), président de la Fédération des associations de musiques et de danses traditionnelles (FAMDT) et de membre de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (UFISC).

UN HÉRITAGE INTERNATIONAL ET LOCAL

En ouverture de cette table ronde, Pascale Bonniel Chalier a présenté le processus d’évolution des droits culturels, notion complexe née à l’international d’une réflexion commune des Etats sur la construction des politiques culturelles. « Sans être malgré tout déconnectées des réalités politiques nationales et locales. Pour rappel, la notion de développement culturel a été importante dans les politiques culturelles en France à la fin des années 1970, début 80. »
Une première date à souligner : 1986, « Décennie mondiale du développement culturel », réflexion menée avec l’Unesco. A noter aussi, des avancées en 1995 sur la notion de la diversité culturelle avec La « Décennie internationale des peuples autochtones ». « Le moment peut être le plus politique est, en 2001, avec la déclaration universelle de la diversité culturelle de l’Unesco. » En 2002, le Forum de Porto Allegre et le Sommet de Johannesburg, inscrivent la diversité culturelle dans une réflexion plus large notamment dans celle du développement durable.

Autres dates importantes :

  • 2004, naissance de l’Agenda 21 de la culture. Il devient un nouveau cadre de référence pour la mise en œuvre de la politique culturelle à l’échelle locale. En 2004, l’Unesco adopte la convention sur le patrimoine culturel immatériel et en 2005, une convention qui aura force de loi au niveau international : la convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
  • 2007 : la déclaration de Fribourg sur les droits culturels, fruit d’un travail d’un groupe international d’experts qui rassemble et explicite les droits des différents textes cités plus haut.
  • 2008 est lancé de manière expérimentale par le Conseil de l’Europe un programme appelé « Cité Interculturelle ». Aujourd’hui plus de 80 villes sont inscrites dans ce programme. Son but : travailler sur la thématique de la dimension interculturelle des communautés locales. « Il a très vite été relayé par les collectivités locales de manière effective dans la nouvelle version de l’Agenda 21 aujourd’hui appelé Culture Action 21. »

DANS LE PROLONGEMENT DES DROITS UNIVERSELS

De cet agenda 21 sont nées les assises de la culture qui constituent des conseils consultatifs participatifs. Plusieurs villes comme Toulouse, Rennes, le Havre… ont engagé cette démarche pour remettre en débat les grandes questions culturelles à l’échelle locale. « Les droits culturels sont donc une évolution engendrée des débats sur la diversité culturelle et notamment autour du relativisme culturel. Mais dans la déclaration comme dans la convention, ils se réfèrent à la question des droits universels qui sont les droits humains protégeant les personnes dans leurs traditions culturelles autour de plusieurs grands principes : le droit d’être reconnu dans son identité et dans sa liberté de faire évoluer cette identité et à se référer à différentes pratiques et groupes culturels ; le droit à la liberté d’expression et à la création artistique ; le droit de participer et d’accéder à la vie culturelle. »
Dernier grand mouvement en France : la décentralisation des politiques culturelles qui a amené le Sénat dans le cadre de la loi NOTRe à stipuler les droits culturels énoncés par la convention de l’Unesco. Ce qui a conduit certains Départements et Régions à adopter un schéma de politique culturelle au regard des droits culturels.

UN IMPACT DIRECT POUR LES STRUCTURES ET ACTEURS CULTURELS

Des droits culturels qui aujourd’hui ont un impact direct au sein des structures culturelles comme en témoigne Charlotte Audigier. « Les droits culturels m’ont obligé à réfléchir sur la façon de faire évoluer nos pratiques, valoriser une dynamique de coopération, de partenariat, dans une nécessité de décloisonnement. C’est vraiment un changement de paradigme, de posture avec une logique de collaboration, d’écoute des réalités des territoires pour susciter des espaces de rencontres, d’interactivité. » Une démarche qu’elle mène notamment au sein d’un projet intitulé « My Craft » impliquant 50 jeunes d’un quartier de La Rochelle autour de la danse contemporaine. « Dans toute la mise en place de la dynamique de projet, j’ai été attentive à associer les partenaires sur le terrain et à se questionner sur comment faire en sorte que des jeunes s’intéressent à la danse contemporaine, malgré les préjugés forts autour de cette pratique, tout en partant de leurs envies. » Un sentiment que partage Rice Gallet : « Cela nous a demandé de voir les choses un peu différemment en réaffirmant les droits de la personne et en rappelant que chaque personne, chaque communauté est porteuse de culture. La prise en compte de ces droits a véritablement changé ma façon d’aborder les projets en fédérant plus les personnes présentes sur les territoires. »
Chez certains, ces droits n’ont pas été forcement bien accueillis comme l’a souligné Eric Fourreau : « Le fait que les droits culturels obligent à revoir ses pratiques a heurté le milieu professionnel car c’est une perte de pouvoir, d’un pouvoir absolu du programmateur, du prescripteur, hérité des politiques culturelles depuis Malraux. » Mais pour Rice Gallet, il n’y a pas d’ambiguïté : « Les droits culturels sont une obligation légale qui impose d’accepter de perdre un peu de son pouvoir. Cela demande d’inventer de nouveaux espaces de discussion pour arriver à une forme de co-construction mais aussi d’évaluation. » Pour Charlotte Audigier, « c’est tendre vers une politique culturelle plus exigeante. »

VERS UN CHANGEMENT DES RÈGLEMENTS D’INTERVENTION DES POLITIQUES PUBLIQUES

Rice Gallet a ensuite souhaité faire part d’une démarche régionale dans laquelle il est engagé, tout comme Charlotte Audigier, « Volontaire pour les droits culturels », initiée par la Région Nouvelle-Aquitaine. Son objectif : confronter les droits culturels au regard des pratiques de chacun avec comme finalité de leur prise en compte dans les textes de la Région (appels à manifestation, règlements d’intervention…) qui portent les politiques culturelles. « Par petits groupes, les structures, les acteurs culturels mais aussi des acteurs sociaux, ont été amenés à réfléchir pendant un an et demi autour de 18 thématiques : les publics, la valorisation, la différence, l’évaluation… La fin du
programme était en décembre 2018 mais d’ores et déjà plusieurs règlements d’intervention ont été modifiés, notamment un, important à mes yeux, sur le temps nécessaire à la création culturelle qui permet la discussion, la co-création ».

Pour aller plus loin

Philippe Quintard

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