La coopération au sein des politiques publiques : un enjeu de société

Depuis quelques décennies, les collectivités, réseaux, institutions publiques et parapubliques mènent des démarches de co-construction pour bâtir contrats de filière, conventions pluripartites ou règlements d’intervention. En Nouvelle-Aquitaine, ces démarches se sont mises en route dès la fusion des trois anciennes régions. Quatre contrats de filière ont d’ores et déjà été signés dans le domaine culturel.

Cette table ronde était animée par Thierry Szabo, directeur de L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine

Difficile de parler de coopération au sein des politiques publiques sans définir, en préambule, quelques notions essentielles. C’est en tout cas ce que Patrick Beauvillard, co-fondateur de l’Institut des territoires coopératifs, s’est attaché à faire en préambule de cette table-ronde. Chaque terme a sa signification propre. A titre d’exemple, concertation et consultation ne doivent pas être utilisés à mauvais escient. Pour l’anthropologue américaine Margaret Mead, coopérer, c’est agir ensemble dans un but commun. « A mon sens, cette définition est beaucoup trop étroite et générale, explique Patrick Beauvillard. Les buts ne sont pas forcément communs, pour autant l’œuvre est commune. Agir ensemble, cela renvoie à la manière d’agir. Or, c’est dans la manière d’agir que tout va se nicher. Lorsque les esclaves bâtissaient les pyramides, ils agissaient ensemble. Etaient-ils dans la coopération ? Je ne suis pas sûr. » Coopérer, c’est être co-auteurs d’une œuvre commune. On passe d’une logique de labeur, d’emploi, à une logique de déploiement, d’épanouissement et de création. Un acte de co-création est par conséquent exigeant et va puiser en chacun des manières de faire qui ne sont pas celles dans lesquelles nos systèmes sociaux nous plongent depuis l’enfance.

En Nouvelle-Aquitaine, la coopération entre acteurs culturels a été lancée au moment de la fusion des trois anciennes région, en janvier 2016. Quatre contrats de filière ont depuis été signés, pour le Livre, le Cinéma, les Musiques actuelles et les Arts plastiques et visuels. « Chaque secteur a ses spécificités, souligne Frédéric Vilcocq, conseiller Culture, économie créative, patrimoine et francophonie auprès du Président du Conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine. Nos démarches ne se sont pas concrétisées comme par magie. » Pour parvenir à leurs fins, élus et opérateurs ont dû engager des processus comportant beaucoup de dimensions : politique, sociologique, idéologique, anthropologique, économique, culturelle, professionnelle, citoyenne, écologique… Et apprendre à travailler différemment. « La première vertu est celle de s’écouter tous, d’entendre les objectifs de chacun et de mieux connaître les partenaires avec lesquels on travaille », note Hélène Glaize, directrice du Livre à l’ALCA. Pour Chantal de Romance, conseillère Musique et danse à la DRAC Nouvelle-Aquitaine, le changement de point de vue est l’une des clés de la coopération. « On est habitué à souffrir du manque de temps, d’espaces contraints. On cherche très souvent à l’extérieur. Or, le temps, on l’a, et la liberté intérieure aussi.
La co-construction est aussi un retour sur soi et sur sa propre appréhension de son environnement. »

IMPLIQUER ET PROTÉGER LES ACTEURS

De manière générale, il est nécessaire d’accepter de faire confiance à la coopération. Les territoires qui ont une forte maturité coopérative produisent de l’émergence, de la créativité, de la croissance, du développement et du renouvellement de la pérennité. « On investit rarement du temps pour développer notre capacité à coopérer ensemble, reprend Patrick Beauvillard. Prenons ce risque, cela produira des projets, des contrats de filière et bien d’autres choses. » Il n’existe toutefois pas de formule universelle duplicable d’un secteur à l’autre. A titre d’exemple, le contexte global est très particulier pour les arts plastiques, dont les acteurs ne relèvent d’aucune industrie.

« Notre structuration est très récente, précise Catherine Texier, co-président du réseau Astre et co-directrice du Frac-Artothèque. Ce qui nous a rapproché, dans un premier temps, c’est une forme de lucidité dans l’urgence. La dynamique qui s’est créée dans l’élaboration de modalités de travail qui ont favorisé une interconnaissance très rapide a été un moteur formidable. La mobilisation des partenaires publics à nos côtés et l’enjeu « grande région » nous ont permis de construire un cadre qui convient aujourd’hui à tous. » Les deux années de concertation qui ont précédé la signature du contrat de filière « nous ont amené vers la ligne de départ et non pas vers la ligne d’arrivée ».

La très grande hétérogénéité des acteurs, la diversité des points de vue et les enjeux tantôt personnels, tantôt catégoriels ne facilitent pas toujours le passage d’une situation conflictuelle à une fabrique du commun. C’est pourquoi il est important, dans le cadre des démarches de co-construction, d’impliquer et de protéger les acteurs par différents moyens. « Il y a par exemple des éléments économiques à mettre en place pour assurer la présence des acteurs, poursuit Catherine Texier. Cela ne revient pas tout à fait au même de participer à une concertation quand on est artiste indépendant que lorsqu’on est directeur d’une structure de quinze personnes. Il faut se montrer solidaires les uns des autres, en mettant en place des choses très pragmatiques. » Pour Anne Beauvillard, co-fondatrice de l’Institut des territoires coopératifs, « il est important de prévoir un temps de rencontres pour identifier les singularités de chacun. Le contrat de filière en lui-même ne nous permet pas de savoir si l’on a su coopérer. » En somme, l’épanouissement est la clé du développement de la maturité coopérative. Un propos confirmé par Ameline Drapeau, référente concertation contrat de filière Livre à la Région Nouvelle-Aquitaine : « Nous avons mis l’accent sur les notions de vivre-ensemble et de confrontation, au sens noble du terme.
L’objectif était de mettre en exergue la valeur ajoutée des échanges et de mettre en place des solutions à long terme. Les concertations ont permis de pointer des éléments beaucoup plus profonds sur l’économie, la revitalisation d’un territoire en lui-même… »

FAIRE PERDURER LES APPRENTISSAGES

L’apprentissage de l’écoute mutuelle est un processus lent. Se rappeler régulièrement certaines règles du jeu comme la confiance, la parole libre, la suspension du jugement permet de défricher le terrain. « Certaines méthodes d’intelligence collective utilisent des outils tels que le world café ou le forum ouvert, qui peuvent nous aider à nous mettre sur le chemin et à ressentir le plaisir d’avoir laisser émerger quelque chose, ensemble », précise Chantal de Romance. Reste que le recours à l’outil ne doit pas se faire au détriment de l’apprentissage. « On pense trop souvent que l’outil va faire le job, alors qu’il s’agit plutôt d’un tiers-objet, explique Anne Beauvillard. La coopération et la co-construction deviennent durables lorsque le tiers-objet n’est plus là mais que les apprentissages perdurent. »

Pour évaluer et faire évoluer le travail commun entre les différents partenaires, une méthodologie doit être mise en place lors de la démarche de co-construction. « Le contrat de filière Livre a été signé il y a un peu plus d’un an et nous nous posons désormais des questions sur l’ajustement de nos manières de travailler ensemble et sur l’efficacité de nos dispositifs », détaille Hélène Glaize. A partir du moment où un contrat a été co-construit avec plusieurs opérateurs du territoire, la posture de la responsabilité unique des collectivités publiques dans la réalisation des objectifs tombe. Le fait de co-construire induit que l’on est co-responsables du résultat. « Cela permet notamment d’alléger la charge sur l’élu, qui acceptera plus facilement une position humble quand il est en co-construction avec l’opérateur », souligne Frédéric Vilcocq. Cela facilite en outre une double évaluation, celle du processus-même, de la méthodologie mise en place et du contrat de filière en tant que tel, et celle des dispositifs initiés dans le cadre du contrat.

À ce jour, la Nouvelle-Aquitaine est la région française la plus prolifique en matière de démarches coopératives. Elle est la seule à avoir signé quatre contrats de filière dans le domaine culturel en moins de trois ans. Preuve que la co-construction fonctionne à merveille entre les élus et opérateurs du territoire.

Pour aller plus loin

Marc-Antoine Lainé

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