Le spectacle vivant n’échappe pas aux phénomènes de concurrence qui existent dans d’autres secteurs. Comment repenser l’expérience artistique dans les territoires, avec une dimension plus solidaire, plus innovante ? Réflexions en compagnie des opérateurs et des artistes.
Cette table ronde était animée par Joël Brouch, directeur de l’Office artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine (OARA).
Les professionnels du spectacle vivant constatent de nombreux points de tension : trop de spectacles, pas assez de représentations, une grande précarité des artistes… En 2004 déjà, au lendemain d’une crise de l’intermittence en France, le rapport Latarget (1) pointait des difficultés similaires. Pourtant, les politiques publiques évoluent, des actions sont mises en œuvre ainsi que le rappelle une étude de l’Office national de diffusion artistique (ONDA) (2). Cette association financée par le ministère de la Culture accompagne la diffusion dans tous les champs du spectacle vivant : théâtre, danse, musique contemporaine, cirque, marionnettes… « Nos conseillers voient 1300 spectacles par an et mettent en relation programmateurs et artistes », explique son secrétaire général Bernard Borghino. « Nous organisons régulièrement des rendez-vous, qu’il s’agisse d’un dîner informel ou des rencontres interrégionales de diffusion (RIDA) sur l’ensemble du territoire national. » Au niveau local, « de plus en plus de collectivités se donnent les moyens d’une diffusion inventive et de nombreux dispositifs existent », indique Joël Brouch.« Les opérateurs artistiques sont les garants d’une éthique de la relation entre programmateurs et artistes. »
THÉÂTRE NOMADE, PAROLES OUVERTES
Parmi les expériences innovantes, Je ne voudrais pas déranger est un projet initié par l’Agence régionale de santé (ARS) pour aborder la maladie d’Alzheimer par une production théâtrale. Les équipes soignantes de 120 EHPAD de Nouvelle-Aquitaine ont d’abord collecté des paroles de patients. Cette matière a ensuite été réinterprétée par l’auteur Renaud Borderie, qui s’est imprégné du sujet à travers une résidence auprès des malades. Trois compagnies régionales (3) mettent en scène cette production dans des lieux culturels et sociaux, ainsi que dans les EHPAD, au contact des patients, des familles, du corps médical… Un calendrier répartit les représentations entre chaque compagnie, pour montrer ce projet le plus largement possible, les coûts de diffusion sont partagés entre l’ARS, l’OARA et les établissements de soins. Un film a même été réalisé pour conserver la trace de cette aventure très ouverte, qui bouscule les frontières habituelles.
EN IMMERSION DANS LA VILLE
Autre expérience, qui prend elle aussi des formes diverses, Maison Graziana est une création de l’auteure Caroline Melon. L’artiste a été invitée par le Théâtre de Libourne à mettre la ville en récit pendant trois ans. Son lieu de résidence est une ancienne demeure bourgeoise, chargée d’une histoire familiale que l’artiste met en scène. Cette exploration s’est traduite par un parcours immersif et une installation multimédia dans le cadre du festival annuel de théâtre de rue de Libourne. « Ce travail artistique est très différent de « l’entonnoir » habituel de diffusion », explique Caroline Melon. « On prend le temps, on ne sait pas toujours où l’on va… C’est beaucoup plus arborescent que les dispositifs classiques. » Progressivement, cette résidence s’ouvre sur la ville et son cadre de vie pour trouver la matière à de nouveaux récits.
UN PACTE DE CONFIANCE
« Diffuser autrement, c’est se poser la question de l’artiste dans la cité, et pas seulement d’un “produit” culturel fini », souligne de son côté Manu Ragot, qui accompagne des compagnies chorégraphiques (Androphyne, La Cavale…). « On a parfois le sentiment d’être asphyxié par l’abondance de la production et d’être les faire-valoir d’une culture institutionnalisée ! » Toutes les expérimentations sont à valoriser et reposent sur un « pacte de confiance » entre opérateurs et artistes, rappelle Joël Brouch, pour retrouver « le temps de l’expérience et du partage avec une dynamique très forte. » En matière de politiques publiques, de nouveaux outils sont à construire, plus agiles, plus participatifs aussi, à l’image des pratiques de l’économie sociale et solidaire. Il faut également créer d’autres indicateurs que le simple comptage des spectateurs : une prise en compte de la durée, du processus, la valeur sociale de la culture auprès des habitants… S’interroger sur la diffusion, c’est repenser la création dans sa relation au public, au territoire, avec sensibilité et solidarité. Des enjeux tout à fait actuels !
- Téléchargeable sur le site de la Documentation Française
- Etude téléchargeable sur le site de l’Onda
- Le collectif Crypsum, le collectif Zavtra et la Compagnie du Théâtre de l’Esquif.
Pour aller plus loin
Benoît Hermet